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Les êtres pour le Sage ont l’aspect de fantômes ;
Vaine agitation de forces et d’atomes,
Un mouvement sans but tourmente l’univers,
Que sans but réfléchit l’eau calme de mes vers.


(Les Quatrains d’Al-Ghazali.)


MATINÉE DE PRINTEMPS


Je marchais ébloui par le matin vermeil ;
Le fourmillement d’or de la mer au soleil
Aveuglait mes regards, et je me sentais l’âme
Près d’elle s’alanguir à ses soupirs de femme.
Les flots étincelaient parfois comme des yeux.
Des troupes d’oiseaux blancs jetaient des cris joyeux,
Tournaient, et plongeaient fous, venant tremper leurs plumes
Aux vagues qui riaient de longs rires d’écumes ;
Et tout chantait, vibrait sous le vent matinal.
C’était un paysage immense, sans égal :
Sur cette mer d’azur, près de ses bords, une lie,
De brume enveloppée encor, dormait tranquille,
Telle une fleur sur un grand vase de lapis ;
Et très haut dans les airs, en leur blancheur de lis,
Par delà les cités et les vagues campagnes,
Géantes, se dressaient des chaînes de montagnes.
Leurs neiges, en un ciel doux comme le satin,
Mêlaient leur candeur vierge à celle du matin.
Et des pêchers piquaient ce ciel de leurs fleurs roses.
J’allais ainsi, charmé par la beauté des choses,
Quand auprès de la ville, au détour d’un chemin,
Un pauvre enfant aveugle, et qui tendait la main,
M’apparut, oh ! si maigre, et pâle, et si sordide,
Et morne, avec ses yeux dont l’orbite était vide.
Quelques loques couvraient son corps à demi nu.
La mère était malade, et le père inconnu.
Jamais nulle caresse adoucissant sa peine ;
Le soleil baisait seul cette laideur humaine ;
Nul mot tendre au matin, alors qu’il s’en allait ;