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Le peuple entier du ciel redoutait ce géant,
Car le vieillard pouvait d’une seule parole,
S’il les méprisait trop, renvoyer au néant
Tous ces amants divins dont la terre était folle.

Il avait si longtemps, du fond de ses forêts,
Jugé les vanités du ciel et son mystère ;
Il avait pénétré d’effroyables secrets :
Mais, comme il était bon, il préférait les taire.

Il savait qu’eux aussi les Dieux devaient périr,
Que tous étaient encor plus vains que nous ne sommes,
Et qu’un mot suffirait pour faire évanouir
Ces fantômes créés par le songe des hommes.

Et, proche de la mort, le Sage dit un jour :
« Tous ces Dieux, mon dédain les a trop laissés vivre.
J’élargirai le cœur des hommes par l’amour ;
Mais il est temps qu’enfin mon esprit les délivre ! »

Alors il aperçut, sanglotante, étouffant,
S’affaissant sous le poids trop lourd de sa souffrance,
Une femme qui, près du cercueil d’un enfant,
Les yeux au ciel, cherchait sa dernière espérance.

Et le vieillard pensa : « Le silence vaut mieux…
Quel mot consolerait cette âme qui succombe ? »
Et, n’osant pas encor faire écrouler les cieux,
Les deux doigts sur la bouche, il entra dans sa tombe.


(L’Illusion : Heures sombres.)


L’ÉPERVIER D’ALLAH


O mon âme, épervier d’Allah, d’un vol altier
Viens et monte, et planant sur l’univers entier,
Embrassant d’un regard toutes les créatures,
Les formes d’autrefois et les formes futures,
Ces apparitions, ces visions d’un jour,
Qui font trembler les cœurs de terreur ou d’amour,
Contemple l’océan des effets et des causes,
Et médite devant le spectacle des choses.
Comme la mer qu’agite et que pousse le vent,
Vois-tu rouler au loin dans l’infini vivant