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C’est mal ! Nos deux pays, ma chère, en sont lésés !
Notre bonheur leur vole une part de leur chaîne.

« Enfant, pardonne-moi ! Car mon crime est réel
De n’avoir lu ni Kant, ni Goethe, ni Hegel !
Aux élèves qu’ils font on reconnaît les maîtres !
Sottement j’enseignais aux miens dans mes leçons :
— « Le bon Dieu fit le fer pour couper les moissons ! »
Et je faussais vos cœurs, ô naïfs petits êtres !

« Le fer est le métal de mort, sachez-le bien
La mort étant le but, le fer est le moyen ;
Il s’assouplit au meurtre et brille dans les larmes !
Dieu l’a fait pour qu’il gronde et qu’il lance le feu ;
Aussi, mes chers petits, il faut adorer Dieu,
Qui pour vous égorger vous a donné des armes !

« Je leur dirai cela dans la forêt, là-bas,
Car j’y vais retourner ! En ne te voyant pas,
Ils vont me demander : « Mais elle, où donc est-elle ? »
Je leur expliquerai qu’il ne faut plus t’aimer !
Et, si je puis le dire enfin sans blasphémer,
Que tu n’étais ni bonne, ô mon ange, ni belle !

« Adieu donc, chère femme, adieu jusqu’au revoir !…
L’amour n’est que la vie, il n’est pas le devoir !…
N’importe où je mourrai, c’est ici que j’expire !… »
Je ne pus retenir mes sanglots étouffants.
Son père m’avait pris les mains : « Pauvres enfants !
Disait-il, vous payez les gloires de l’Empire ! »

Qu’il fut long le moment qui nous tint embrassés !
Il me semble si court à présent ! « C’est assez, »
Dis-je. — Mais tout à coup je vois pâlir ma femme !
Au geste qu’elle fait, nous devenons tout blancs.
— « Que ferai-je du fils que je porte en mes flancs ? » Cria-t-elle. — Ah ! messieurs ! la guerre est bien infâme !

Il en est parmi vous qui sont pères. Mais moi,
Je ne l’avais jamais été. — Si votre roi
Savait ce que l’on souffre, il prendrait le cilice !
J’étais père !… j’étais père !… Chacun m’entend !
Et je devais mourir sans le voir, lui, pourtant !…
Je tombai net : j’avais épuisé le calice !