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dont le dépôt principal, « le dépôt central et presque le bureau de rédaction », était chez Lemerre.

« L’ancienne boutique de Percepied était fort exiguë ; il s’y tassa bientôt un tel encombrement de poètes et d’amis de poètes que la clientèle effarouchée n’osait plus y aborder. Lemerre nous assigna alors une autre pièce à l’entresol, où l’on gravissait par un escalier en colimaçon. C’est là que se tinrent chaque jour, de quatre à six, les assises parnassiennes. Car, déjà, tout le Parnasse, ou à peu près, était réuni là ! Il n’y manquait que le nom… »

Vers cette époque, des relations s’établirent entre M.  Xavier de Ricard et M. Catulle Mendès, qui, quelques années auparavant, avait fondé la Revue fantaisiste :

« Mendès vint aux soirées dans lesquelles mes amis se réunissaient chez mes parents : quelques-uns de ses amis l’y suivirent ; plusieurs des miens me suivirent chez Mendès, et c’est ainsi que s’opéra la formation du groupe qui allait devenir le Parnasse, »

L’Art parut pendant quelque temps chaque samedi en huit pages à cinq colonnes par page. Les collaborateurs furent les anciens collaborateurs de M. de Ricard et de M. Mendès, auxquels se joignirent des amis nouveaux. La politique et la sociologie occupaient une assez large place dans cette feuille, qui publia des vers de Leconte de Lisle, de M. Sully Prudhomme, de M. Catulle Mendès, de Paul Verlaine, etc., et où fut bientôt formulée, non sans exagération, la « doctrine » du Parnasse.

« Nos adversaires, c’étaient les débraillés, les sans-gêne qui croyaient continuer Lamartine et Musset ; les négateurs de tout art et de toute poésie, qui versifiaient à l’instar de M. Ponsard, et c’était aussi — nous avions alors belle matière à nous indigner — l’indifférence agressive du public, et l’hostilité violente de certaines gens de métier contre toute recherche de nouveauté sincère et désintéressée d’art et d’idéal. Car, sincères et désintéressés, nous l’étions, et il fallait l’être bien décidément pour avoir, en ce temps-là, choisi la part que nous choisîmes et qui n’était pas la meilleure au point de vue des satisfactions immédiates.

« C’est dans nos polémiques que nous gagnâmes cette épithète d’impassibles qui nous est si longtemps restée. Mendès constate que je fus un des premiers — mince gloire ! — à l’employer dans une lettre imprimée dans l'Art. Il va sans dire que nous ne donnions pas à ce qualificatif d’impassible le sens absolu qu’y entendirent nos adversaires. Nous ne prétendions pas ne vouloir rien éprouver de la vie : nous voulions dire seulement que la passion n’est pas une excuse à faire de mauvais vers, ni a commettre des fautes d’orthographe ou de syntaxe, et que le devoir de l’artiste est de chercher consciencieusement, sans