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LA VIEILLE AVARE


Donc la vieille avare est au lit de mort,
L’agonie au cœur l’étreint et la mord :
A-t-elle un regret ? A-t-elle un remord ?
Ah ! quitter ses biens, c’est ce qui la navre.

Elle a dès longtemps rompu tout lien ;
Parents, amis, rien ! elle n’a plus rien,
Pas un serviteur et pas même un chien
Pour veiller ce soir près de son cadavre.

Sur une escabelle une lampe luit,
Tremblante clarté que l’ombre poursuit ;
Au dehors s’élève un étrange bruit :

L’oiseau de la Nuit hulule à la porte,
L’oiseau de la Mort appelle la morte,
L’oiseau de l’Enfer attend qu’on l’emporte ?


(Chez nous.)


L’INVALIDE


Je sais tel homme ayant renom de débauché
Qui se pique, s’offense et lait l’effarouché
Sitôt qu’à son oreille arrive un mot trop libre.
Tel autre qui perdra volontiers l’équilibre
A force de vider ses flacons de bon vin,
Se scandalise à voir l’ivresse du voisin.
Leur indignation n’est pas hypocrisie,
Calcul intéressé ni simple fantaisie ;
La vertu qu’ils n’ont plus s’émeut sincèrement.
Or chacun sur leur cas émet son sentiment,
Les uns pour les blâmer, les autres pour en rire.
« Moi, je les comprends bien, très bien, se met à dire
L’invalide ; je souffre encor de temps en temps
Du bras que j’ai perdu depuis plus de trente ans ! »


(Chez nous.)