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IV


Or les enfants jouaient. Soudain, le premier-né,
Debout, l’œil plein de fauve ardeur, la lèvre amère,
Frappa l’autre éperdu sous un poing forcené
Et qui cria, tendant les deux mains vers la mère.

Eve accourut tremblante et pâle de stupeur,
Et, fermant autour d’eux ses bras, les prit sur elle ;
Et comme en un berceau les couchant sur son cœur,
Les couvrit de baisers pour calmer leur querelle.

Bientôt tout s’apaisa, fureur, plainte, baisers ;
Ils dormaient tous les deux enlacés, et la femme,
Immobile, ses doigts sous un genou croisés,
Sentit les jours futurs monter noirs dans son âme.

V


Soleil du jardin chaste ! Eve aux longs cheveux d’or !
Toi qui fus le péché, toi qui feras la gloire !
Toi, l’éternel soupir que nous poussons encor !
Ineffable calice où la douleur vient boire !

O Femme ! qui, sachant porter un ciel en toi,
A celui qui perdait l’autre ciel, en échange,
Offris tout, ta splendeur, ta tendresse et ta foi,
Plus belle sous le geste enflammé de l’archange !

O mère aux flancs féconds ! Par quelle brusque horreur,
Endormeuse sans voix, étais-tu possédée ?
Quel si livide éclair t’en fut le précurseur ?
A quoi songeais-tu donc, la paupière inondée ?

Ah ! dans le poing crispé de Caïn endormi
Lisais-tu la réponse à ton rêve sublime ?
Devinais-tu déjà le farouche ennemi
Sur Abel faible et nu s’essayant à son crime ?

Du fond de l’avenir, Azraël, menaçant,
Te montrait-il ce fils, ayant fait l’œuvre humaine,
Qui s’enfuyait sinistre et marqué par le sang,
Un soir, loin d’un cadavre étendu dans la plaine ?

Le voyais-tu mourir longuement dans Enoch,
Rempart poussé d’un jet sous le puissant blasphème