Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tricités dont les badauds ont lormé une indestructible légende et qu’ils ne lui ont pas pardonnées ; mais il faut reconnaître que cette tension maladive des facultés a doublement servi le poète qui a, comme le lui écrivait Victor Hugo, « doté l’art d’un frisson nouveau » et le critique dont les jugements ont si souvent devancé ceux de la foule et de la postérité ; car il n’est guère de personnalité contestée ou méconnue qu’il ne se soit efforcé de mettre en lumière. Wagner et tant d’autres l’ont compté au premier rang de leurs défenseurs. Des peintres aujourd’hui célèbres, mais alors en pleine lutte contre la misère et l’obscurité, lui ont dû la joie de se voir cités et prônés. Plus absolu peut-être dans ses doctrines littéraires, il n’en a pas moins loué avec justesse et vu avec sagacité les qualités ou les défauts des quelques écrivains contemporains dont il a parlé. Romantique par le choix et la nature de ses curiosités, il était classique d’origine, de goût et d’éducation, également soucieux et de la perfection littéraire et de la correction grammaticale et typographique, retouchant l’épreuve même après le « bon à tirer » qu’on lui arrachait à grand peine et, malgré ses prétentions à l’infaillibilité, toujours mécontent de lui-même. Si, par horreur du lieu commun, le prosateur n’a pas, quelquefois, reculé devant l’emploi de telles périphrases prudhommesques, le poète peut marcher de pair avec celui-là même qu’il traitait d’« impeccable ». Quant à l’influence morbide qu’il aurait exercée, ses seules victimes sont ceux qui ont pris au pied de la lettre et prétendu mettre en action des perversités et des raffinements tout littéraires. Empruntant une image au titre même du livre qui fera vivre la mémoire de son ami, Asselineau comparait Baudelaire à Tune de ces fleurs magiques dont la couleur, la feuille et le parfum ne sont qu’à elles et comme il n’en éclôt, ajouterons-nous, que dans la serre chaude des extrêmes civilisations : leur rareté lait leur innocuité, car une telle œuvre n’est accessible qu’aux délicats, moins sensibles à l’Acre té du poison qu’à la forme du vase où il leur est versé. » (Maurice Tourneux.)

Baudelaire, qui avait le culte de son art, ne cachait pas son » admiration pour ses maîtres. « Ce poète, a dit Théophile Gautier, ce poète que l’on cherche à faire passer pour une nature satanique, éprise du mal et de la dépravation (littérairement, bien entendu), avait l’amour et l’admiration au plus haut degré. Or, ce qui distingue Satan, c’est qu’il ne peut ni admirer ni aimer… » Et, défendant le poète contre le reproche de maniérisme, de recherche, de bizarrerie voulue qu’on lui adresse souvent, le Maître continue : « Baudelaire, comme tous les poètes-nés, dès le début posséda sa forme et fut maître de son style, qu’il accentua et polit plus tard, mais dans le même sens. On l’a souvent accusé de bizarrerie concertée, d’origina-