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Suaire de silence et d’ombre,
La nuit efface absolument
Le Temps, l’Etendue et le Nombre.

Tel qu’un lourd et muet décombre,
L’Esprit plonge au vide dormant,
Dans la mer immobile et sombre.

En lui-même, avec lui, tout sombre,
Souvenir, rêve, sentiment,
Le Temps, l’Étendue et le Nombre,
Dans la mer immobile et sombre.


(Poèmes tragiques.)


LA CHASSE DE L'AIGLE



L’aigle noir aux yeux d’or, prince du ciel mongol,
Ouvre, dès le premier rayon de l’aube claire,
Ses ailes comme un large et sombre parasol.

Un instant immobile, il plane, épie et flaire.
Là-bas, au flanc du roc crevassé, ses aiglons
Erigent, affamés, leurs cous au bord de l’aire.

Par la steppe sans fin, coteau, plaine et vallons,
L’œil luisant à travers l’épais crin qui l’obstrue,
Pâturent, çà et là, des bardes d’étalons.

L’un d’eux, parfois, hennit vers l’aube ; l’autre rue
Ou quelque autre, tordant la queue, allègrement,
Pris de vertige, court dans l’herbe jaune et drue.

La lumière, en un frais et vif pétillement,
Croît, s’élance par jet, s’échappe par fusée,
Et l’orbe du soleil émerge au firmament.

A l’horizon subtil où bleuit la rosée,
Morne dans l’air brillant, l’aigle darde, anxieux,
Sa prunelle infaillible et de faim aiguisée.

Mais il n’aperçoit rien qui vole par les cieux,
Rien qui surgisse au loin dans la steppe aurorale,
Cerf ni daim, ni gazelle aux bonds capricieux.