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prises des pièces développées. Mais le travail lui devenait pénible, malgré sa régularité (il travaillait chaque matin de huit heures à onze), et son activité littéraire se ralentissait. Il continuait cependant à recevoir les poètes de la jeune génération avec une bienveillance affectueuse que cachaient mal son air ironique et sa sérénité, et son esprit garda jusqu’à la fin sa vivacité… Un peu fatigué par l’influenza, il se décida, au début de l’été de 1894, à aller se reposer dans la propriété d’un ami, à Louveciennes, où il s’éteignit doucement.

Le caractère littéraire de Leconte de Lisle est d’une unité et d’une simplicité admirables. Il a vécu en dehors et au-dessus des passions humaines pour un idéal d’art qu’il a poursuivi toute sa vie, sans aucune défaillance. Cette vie austère, cette attitude si haute, la probité scrupuleuse de son grand talent, ce souci de la perfection, sont d’une belle qualité intellectuelle. Il a été longtemps tenu à l’écart, peu connu de la foule, car il dédaignait la réclame. Au milieu des visions radieuses qu’il évoquait dans le silence et la retraite, il dédaignait la vie éphémère dont les apparences se déroulaient autour de lui. La poésie fut pour lui une sorte de religion, et c’est le seul dieu qu’il ait jamais adoré. Ce qui frappe tout d’abord dans son œuvre, ce sont des vers d’une splendeur précise et une imperturbable sérénité. On a dit qu’il avait créé l’école des « impassibles », et, nous venons de le voir, certains critiques lui ont reproché de manquer de sensibilité ; le public va d’instinct à la poésie personnelle où il cherche des vers à son adresse ; il n’entend rien aux poèmes hindous, hébraïques, grecs, Scandinaves, du poète des religions ; il ne comprend pas qu’un poète s’isole et se désintéresse de son siècle. La perfection constante des vers de Leconte de Lisle, qui procure aux gens du métier an plaisir sans mélange, ne lui semble qu’un magnifique et froid exercice de rhétorique. Si l’on va plus au fond des choses, on constate qu’il est peu de poètes plus modernes et qui incarnent mieux les négations de l’âme moderne. Leconte de Lisle est un grand pessimiste et un impie réfugié dans la contemplation esthétique ; révolté contre l’inanité du monde, mais ébloui de la beauté des apparences, indigné des monstruosités des religions et des injustices de l’histoire, mais séduit par la variété de leurs décors, méprisant l’humanité et l’aimant, — il a traduit tous ces sentiments avec une profondeur et une perfection sans égales. » (Ph. Berthelot.) « Alors que d’autres se crurent quittes envers l’art et envers eux-mêmes, quand ils eurent poussé tel quel le cri arraché à leur chair sanglante par le hasard des heures mauvaises, Leconte de Lisle se haussa toujours jusqu’à une parole d’humanité universelle et voulut que toute glose devînt inutile en éliminant de ses poèmes une allusion indiscrète aux événements particuliers qui leur avaient donné naissance… Il refusait fière-