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La foule est comme l’eau qui fuit les hauts sommets ;
Où son niveau n’est pas. elle n’atteint jamais.
Sans prendre pour lui plaire une peine perdue,
Ne mets pas d’escalier à ta pensée ardue.


Aussi en 1866, au moment de la publication du Parnasse, les Poèmes antiques et les Poèmes barbares n’avaient pas réussi à étendre dans tout le monde lettré la notoriété de Leconte de Lisle. Ce n’était pas son œuvre seulement qui était ignorée, c’était son nom, — « si bien que, dans ses premières polémiques contre le Parnasse, la critique était souvent embarrassée pour l’orthographier : elle écrivait Lecomte de Lille, Leconte Delille, et même Le Comte ».

Enfin, en 1870, la célébrité étant venue, l’Empire lui offrit une pension de 300 francs par mois. « La République lui conserva cette pension et y ajouta, en 1872, le poste de sous-bibliothécaire au Sénat, où le poète fut logé. C’était la vie assurée désormais. Libre de travailler à ses heures, Leconte de Lisle eut l’idée d’aborder le théâtre. Il composa une trilogie eschylienne, les Érinnyes (1872), qui fut jonéo au mois de janvier 1873, à l’Odéon, où elle a été reprise avec succès. Cependant l’Odéon ne voulut pas monter le second drame du poète, l’Apollonide (1888). En 1884, les Poèmes tragiques avaient paru et obtenu le prix Jean Reynaud, de 10,000 francs, à l’Académie française. Ils contenaient des pièces d’une forme plus parfaite encore que les recueils précédents et manifestaient plus hautement que jamais le pessimisme du poète et son dégoût de la vie… En 1873, Leconte de Lisle s’était présenté à l’Académie française pour le fauteuil du P. Gratry. Il se représenta en 1877 et n’eut que la voix de Victor Hugo et celle d’Auguste Barbier. Victor Hugo vota pour lui avec ostentation, et le candidat déclara que ce suffrage lui suffisait pour se considérer comme élu. À la mort de Victor Hugo et conformément au désir formel de celui-ci, — exemple curieux de la vénération qu’il inspirait, — l’Académie nomma Leconte de Lisle pour le remplacer (1886). Il fut reçu, le 31 mars 1887, par Alexandre Dumas fils, qui ne l’aimait pas et le dit, dans un discours qui fit sensation ; il lui reprocha son pessimisme, disant que, s’il aspirait si fort après le néant, il dépendait de lui d’y entrer ; il lui reprochait d’ôter à la poésie le sentiment ; de s’être débarrassé de l’inquiétude de Dieu et de la vie future ; enfin, de ne pas avoir été troublé par la femme : en résumé, il le blâmait de rester impassible devant l’homme et la nature. Ces reproches ont été répétés depuis par un certain nombre de critiques…

Pendant les dernières années de sa vie, Leconte de Lisle a continué à préparer un nouveau volume de vers sur des sujets antiques. La Revue des Deux-Mondes en a publié à diverses re-