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Lisle souffrit cruellement de la discipline qui comprima sa jeunesse. On peut trouver là un premier germe de cet esprit de révolte qui s’épanouit si puissamment dans cette nature éprise de liberté et d’indépendance.

Sa première éducation terminée, son père, qui le destinait aux affaires, le fit voyager pour qu’il se créât une situation industrielle. Leconte de Lisle traversa l’Inde, parcourut les îles de la Sonde et put emplir ses yeux des merveilleux paysages qu’il devait décrire plus tard dans une langue si pleine et si riche. Mais il se sentait peu de goût pour les affaires et vint en France. Il s’établit d’abord à Rennes, où il compléta son instruction et concentra son ardeur d’apprendre sur l’étude du grec, de l’italien et de l’histoire, qu’il aimait passionnément depuis son enfance. En même temps, il publiait quelques vers que l’on peut retrouver dans de vieux journaux de Bretagne. Il avait formé une petite société de journalistes, de musiciens et de poètes qui publiaient une petite feuille intitulée Le Sifflet. Il parcourut à pied la vieille terre bretonne avec son ami le peintre Théodore Rousseau, et faillit périr surpris par la marée au pied du Mont-Saint-Michel.

Leconte de Lisle retourna à deux ou trois reprises à son île natale, puis, en 1846, vint définitivement se fixer à Paris. Il fit d’abord partie du groupe fouriériste, où il avait des amis, parmi lesquels un créole de l’île Maurice, le phalanstérien Laverdant, qui le présenta à Victor Considérant. Il publia séparément dans la Phalange, la revue de Victor Considérant, ses premiers vers qui parurent plus tard en volume. La Vénus de Milo, qui fut sa pièce de début, excita un grand enthousiasme parmi les jeunes littérateurs d’alors, Louis Ménard, Lacaussade, Thalès Bernard, etc., qui devinrent ses amis. La Démocratie pacifique, journal quotidien, succéda à la Phalange, et Leconte de Lisle fut chargé de lire les manuscrits adressés au journal ; mais son extrême sévérité pour le stylo le rendit impossible. Il continua cependant à y publier des vers, et deux ou trois nouvelles qui se ressentent de l’influence de Bernardin de Saint-Pierre. À cette époque, le poète fréquentait assidûment un petit cercle d’amis qui s’adonnaient avec passion à l’étude du grec et de la civilisation antique : en 1842, Banville avait fait paraître les Cariatides, et Louis Ménard le Prométhée délivré ; Thalès Bernard, de son côté, avait traduit le Dictionnaire mythologique de Jacobi, qui présentait les dieux grecs sous leur forme véritable. Toutes ces influences agiront sur le jeune poète qui allait renouveler avec plus de largeur et plus de force la tentative d’André Chénier. La révolution de 1848 vint le distraire momentanément de la poésie. Républicain ardent comme ses amis, il se jeta avec enthousiasme dans la mêlée. Le Club des Clubs le délégua pour préparer les élections en Bretagne ; mais ses