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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

mais, Dieu merci ! ils n’en avaient point entendu parler, et leur ignorance me combla de joie. — Mais vous jouez aussi, leur dis-je, d’autre musique que des contredanses ? — Sans doute, me répondirent-ils, mais seulement entre nous, et non pas devant le monde. En même temps ils déballèrent leur musique, et mon premier coup d’œil tomba sur le grand septuor de Beethoven. Je leur demandai avec surprise si c’était là un de leurs morceaux favoris. — Pourquoi donc pas ? répliqua le plus âgé de la troupe ; si Joseph n’avait pas mal à la main, et qu’il pût remplir la partie du premier violon, nous nous donnerions ici même ce plaisir. Dans un transport d’ivresse, je m’emparai vivement du violon de Joseph, en promettant de faire de mon mieux pour le remplacer, et nous entreprîmes aussitôt le septuor.

Quel ravissement d’entendre là, à ciel ouvert, au bord d’une grande route de la Bohême, ce magnifique ouvrage exécuté par une bande de musiciens ambulants avec une pureté, une précision et une profondeur de sentiment telles qu’on les trouve rarement chez les virtuoses les plus huppés. Grand Beethoven ! ce fut vraiment un sacrifice digne de ton génie auquel je participai. Nous étions arrivés au finale quand une chaise de poste élégante, que nous n’avions pu apercevoir à cause du coude de la chaussée, s’arrêta silencieusement en face de nous. Un jeune homme d’une taille excessivement élancée, et d’un blond