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DE LA MUSIQUE ALLEMANDE

convenablement. Il n’est donc pas hors de propos d’entrer dans quelques développements à ce sujet afin d’éclairer la matière et les jugements qu’on en porte en sens divers.

On a répété souvent, et pour ainsi dire accepté comme un principe ce dicton comparatif : en Italie la musique est l’interprète de l’amour, en France c’est un délassement de société, en Allemagne c’est une science abstraite et sérieuse. Il serait peut-être plus rationnel d’exprimer la même pensée en ces termes : l’Italien a l’instinct du chant, le Français l’amour-propre du virtuose, mais à l’Allemand appartient le vrai sentiment de la musique. L’Allemand, en effet, a seul le droit peut-être de revendiquer le titre de musicien, car il est incontestable qu’il aime l’art musical pour l’art lui-même, à cause de sa divine essence, et non comme un moyen vulgaire d’irriter ses passions, ou comme un instrument de fortune et de considération. L’artiste allemand se consacre, se dévoue tout entier à sa vocation. Il écrit de la musique pour lui seul, ou pour un ami intime, sans se préoccuper de la publicité de son œuvre. Il est rare qu’il soit possédé de l’envie de se créer une réputation ; la plupart ne se doutent même pas de la route qu’il faut suivre pour obtenir un pareil résultat, et de quels auditeurs il leur importerait de capter les suffrages.

Le sol de l’Allemagne est divisé en une infinité de monarchies, d’électorats, de duchés et de