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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

charme irrésistible. Le chœur des gondoliers est un morceau de chant où la nature est prise sur le fait : il y a là une simplicité grandiose et naïve d’un effet enchanteur. Toutes ces barcarolles rythmées à la moderne, d’une harmonie si piquante dont fourmillent nos opéras, du moment que la scène se passe en Italie, que sont-elles auprès de ce morceau si naturel, où pour la première fois se révèle dans toute sa vérité le caractère primitif des vigoureux enfants de la Chioggia, qui gagnent leur pain à ramer sur les canaux de Venise ?

La scène suivante a beaucoup d’animation dramatique. La mélancolie voluptueuse dans laquelle s’est affaissée la douleur de Catarina est rendue avec un charme touchant dans l’adagio ; le chant respire une mollesse qui répand dans nos cœurs un calme bienfaisant. Puis sa douleur se réveille avec une force nouvelle : Catarina s’adresse au ciel pour lui demander des consolations. Puis quand elle trouve les lignes tracées par la main de son amant, son cœur renaît à l’espoir ; sa joie, sa gratitude, l’anxiété avide avec laquelle Catarina attend son bien-aimé, tout cela ne pouvait être rendu avec plus de vérité et d’énergie. L’auteur nous semble avoir été surtout heureux dans le motif principal de l’allégro.

L’apparition de Mocénigo, du démon qui doit toujours et partout troubler le bonheur des deux amants, produit également ici le plus heureux