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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

sant paraître le prophète de malheur au moment même où nos cœurs s’abandonnent à la quiétude où nous ont plongés les scènes précédentes. Cet effet, le compositeur a le mérite de l’avoir rendu par des moyens très simples, sans aucune bizarrerie ni affectation. Toute cette scène est de main de maître, ainsi que la suivante entre Mocénigo et Andréa. Ici se présentait une grande difficulté. En effet, il ne s’agissait point d’exprimer l’énergie fougueuse des passions ; il fallait peindre la réserve, la tranquillité froide et calculée dont s’enveloppe l’ambition. Ce qu’il y a de sombre et de terrible dans ce Mocénigo qui va porter le trouble au sein de tant de bonheur, dans cet impitoyable représentant d’une corporation puissante, ne pouvait être plus heureusement caractérisé que nous ne le trouvons dans cette scène. On ne sait ce qu’on doit admirer le plus, de la simplicité des moyens que le compositeur a mis en usage, ou de ce tact si sûr qui l’a décidé à faire choix de moyens aussi simples. Ce qui prouve que l’auteur procède ainsi à bon escient, c’est qu’il fait un usage très modéré de l’orchestre : il a prudemment renoncé à tous ces éclats d’une instrumentation bruyante, qu’il manie pourtant avec une supériorité incontestable ; et c’était, en effet, par cette sobriété seule qu’il pouvait arriver à conserver a cette situation son expression dramatique. Le passage où l’orchestre caractérise si heureusement cette poli-