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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

quer que, par un singulier bonheur, le poète a su donner aux éléments constitutifs de son action une couleur telle que le musicien pouvait la souhaiter. Si j’ai bien saisi le sens poétique du livret, le drame se fonde sur un conflit entre les passions humaines et la nature. Tout d’abord nous sommes frappés du contraste que l’égoïste Venise et son terrible Conseil des Dix forment avec l’île charmante que l’antiquité avait consacrée à Vénus. De la triste et sombre cité nous sommes transportés dans les bois enchanteurs de Chypre. Mais, à peine soulagés de l’anxiété qui nous oppressait, avons-nous respiré un air doux et voluptueux que dans l’envoyé du Conseil des Dix, dans cet assassin froidement cruel, nous retrouvons avec effroi le principe destructeur. Au milieu de ce conflit redoutable surgit la noble nature de l’homme, se fiant aux deux étoiles qui le guident ici-bas, l’amour et la foi, luttant courageusement contre le génie infernal, et quoique sacrifié, restant vainqueur ; voilà comment nous comprenons cette admirable figure de Lusignan.

Quel magnifique et poétique sujet ! de quel enthousiasme il dut enflammer l’âme d’un compositeur qui a, comme Halévy, une si haute idée de la dignité de son art !

Voyons maintenant par quels moyens il a réussi à nous communiquer cet enthousiasme.

L’opéra d’Halévy se compose, dans sa forme extérieure, de deux parties distinctes, déterminées