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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

plus remarquable ; c’est en lui que la véritable nature allemande se révèle de la manière la plus caractéristique. Le genre d’esprit, d’imagination, toute la vie intérieure enfin, qui se révèlent dans ses compositions instrumentales si finies dans les plus petits détails, la quiétude pieuse que respirent ses compositions religieuses, tout cela est profondément allemand, mais cela ne suffit pas pour écrire de la musique dramatique ; cette piété paisible et résignée est même en opposition directe avec l’inspiration qu’exige le drame. Pour écrire un opéra, il faut au compositeur des passions fortes et profondes, et de plus il doit posséder la faculté de les peindre vigoureusement et à grands traits. Et voilà précisément ce qui manque à Mendelssohn-Bartholdy : aussi, quand ce compositeur distingué a voulu s’essayer dans le drame, est-il resté au-dessous de lui-même.

Ce n’est donc pas de ce côté qu’on peut espérer voir partir une action énergique et féconde qui puisse vivifier de nouveau la musique dramatique en Allemagne. L’impulsion donnée par Halévy, provenant d’un talent étranger à la vérité, mais qui a une affinité intime avec l’esprit allemand, aura des résultats bien autrement décisifs. Et pour qui sait apprécier la solidité, la dignité de la musique allemande, l’influence exercée sur une de ses branches les plus importantes par l’auteur de la Juive ne sera pas un de ses moindres titres à sa gloire.