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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

Ces contours si arrêtés du rythme, cet équilibre, cette carrure de la mélodie, du moment qu’ils ne sont point en harmonie avec la situation dramatique, finissent par fatiguer ; si l’on joint à cela que cette brillante monotonie dans le dessin de la mélodie ne répond pas à l’expression générale du sentiment tragique, il arrive que ces splendides et luisantes mélodies ont quelquefois l’air d’être superposées, comme une cage en cristal, sur les situations musicales, qui se trouvent en quelque sorte comme encadrées. Ce procédé est d’un grand secours au compositeur toutes les fois qu’il écrit de la musique de ballet. La perfection merveilleuse avec laquelle il traite ce genre fera comprendre clairement ce que j’entends par la carrure du rythme et de la mélodie qu’affectionne Auber. Cette coupe obligée des airs de danse, avec ses périodes de huit mesures qui reviennent toujours périodiquement, avec leurs cadences sur la dominante ou sur le ton mineur relatif, cette coupe d’air de danse, dis-je, est devenue pour Auber comme une seconde nature ; c’est ce qui l’empêche décidément de donner à ses conceptions le caractère général, indispensable au compositeur qui écrit des airs tragiques, c’est-à-dire qui exprime par des sons les sentiments du cœur humain, sentiments toujours les mêmes et pourtant d’une si prodigieuse variété.

Après être entré dans de si longs détails au