Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

il faut chercher le dernier mot dans sa manière de produire. On pourrait ranger Halévy dans ce qu’on appelle l’école historique, si dans ses éléments constitutifs la manière de ce compositeur ne coïncidait avec l’école romantique ; car dès que nous sommes enlevés à nous-mêmes, à nos sensations et à nos impressions journalières, et que, de la sphère habituelle où s’écoule notre existence, nous sommes transportés dans une région inconnue, tout en conservant la pleine et entière conscience de nos facultés, dès ce moment nous sommes sous le charme de ce que l’on appelle poésie romantique.

Nous voilà arrivés au point où la voie dans laquelle marche Halévy s’éloigne entièrement de la route qu’a suivie Auber. Les compositions de ce dernier portent l’empreinte nationale, au point d’en devenir monotones. On ne saurait contester que le caractère essentiellement français de sa musique ne lui ait assuré en peu de temps une position décidée, indépendante dans le domaine de l’opéra-comique ; d’un autre côté, il est évident que cette individualité nationale, si énergiquement prononcée, ne lui a pas permis, quand il s’est agi de concevoir et d’écrire des tragédies lyriques, de s’élever au point de vue où tout intérêt de nationalité s’efface, et où l’on ne sympathise plus qu’avec les intérêts purement humains. Il est bien entendu que je ne parle ici de nationalité que dans le sens le plus restreint.