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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

c’est au Grand-Opéra seulement qu’il révéla tout ce que son talent avait de profondeur et d’étendue. Quoique dans les compositions d’un ordre inférieur il ait parfaitement réussi à détendre les ressorts de son énergie naturelle, à lui communiquer ces allures d’élégance gracieuse qui réjouit et flatte les sens, sans nous donner des jouissances bien profondes, sans émouvoir bien fortement notre sensibilité, je n’hésite pas à proclamer que ce qui caractérise essentiellement l’inspiration d’Halévy, c’est avant tout le pathétique de la haute tragédie lyrique.

Rien n’était mieux assorti au pfenre de son talent que le sujet de la Juive. On dirait que l’artiste a trouvé, sur son chemin, par une espèce de fatalité, ce livret qui devait provoquer chez lui l’emploi de toutes ses forces. C’est dans la Juive que la véritable vocation d’Halévy se manifesta d’une manière irréfragable, et par les preuves les plus frappantes et les plus multipliées : cette vocation, c’est d’écrire de la musique telle qu'elle jaillit des plus intimes et des plus puissantes profondeurs de la nature humaine.

Il est effrayant, et cela vous donne le vertige, de sonder du regard les terribles profondeurs que renferme le cœur de l’homme. Quant au poète, il lui est impossible de rendre par la parole tout ce qui se passe au fond de cette source intarissable, qui s’agite tour à tour au souffle de Dieu et du démon ; il vous parlera de