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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

de la manière la plus populaire, a été de tout temps le domaine exclusif des compositeurs français ; c’est là qu’Auber a pu révéler le plus sûrement et le plus facilement toute la fécondité, toute la flexibilité de son talent. Sa musique, tout à la fois élégante et populaire, facile et précise, gracieuse et hardie, se laissant aller avec un sans-façon merveilleux à son caprice, avait toutes les qualités nécessaires pour s’emparer du goût du public et le dominer. Il s’empara de la chanson avec une vivacité spirituelle, en multiplia les rythmes à l’infini, et sut donner aux morceaux d’ensemble un entrain, une fraîcheur caractéristiques à peu près inconnus avant lui. L’opéra-comique est décidément le véritable domaine du talent d’Auber ; lorsqu’il se hasarda sur notre grande scène lyrique, il ne fit qu’agrandir le terrain sans le quitter. Après avoir développé et exercé ses forces à l’Opéra-Comique, il livra enfin une grande bataille, dont il affronta les hasards avec autant de bravoure et d’énergie que les joyeux élégants de Paris en déployèrent aux fameuses journées de Juillet. Le prix de la victoire ne fut pas moindre que le succès colossal de la Muette.

Il en est tout autrement d’Halévy. Sa constitution vigoureuse, l’énergie concentrée qui caractérise sa nature, lui assuraient tout d’abord une place sur notre premier théâtre lyrique. Selon l’usage, il débuta à l'Opéra-Comique ; toutefois,