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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

mer, plongeant d’un regard avide dans l’immensité des flots, ou debout devant une cité en ruines, se reportant par la pensée dans les profondeurs ténébreuses du passé. Tout à coup qu’une tradition merveilleuse évoque devant eux des figures vagues, indécises, mais belles et enchanteresses : des mélodies ravissantes, des inspirations toutes nouvelles assiègent leur âme comme des rêves et comme de poétiques pressentiments : puis un nom est prononcé, un nom enfanté par la tradition ou l’histoire, et avec ce nom leur est venu un drame tout fait ! C’est le poète qui l’a prononcé ; car à lui appartient la faculté d’énoncer clairement et de dessiner en traits distincts ce qui se révèle à sa pensée. Mais quant à ce qui est de répandre le charme de l’ineffable sur la conception poétique, de concilier la réalité avec l’idéal, cette tâche est réservée au musicien. L’œuvre que les deux talents élaboreront ensuite dans les heures de réflexion calme pourrait être appelée, à juste titre, un opéra parfait.

Par malheur, cette manière de produire est tout idéale, ou du moins il faut supposer que les résultats n’en parviennent pas à la connaissance du public ; dans tous les cas elle n’a rien de commun avec l’industrie artistique. C’est cette dernière qui, de nos jours, sert de médiatrice entre le poète et le compositeur, et peut-être devons-nous lui en savoir gré ; car sans cette merveilleuse institution