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UNE SOIRÉE HEUREUSE

qui provoque la naissance de l’œuvre musicale. Or, quelle apparition plus digne d’enflammer et de nourrir l’enthousiasme sympathique du génie ardent de Beethoven, que celle du demi-dieu qui brisait un monde pour en reconstruire un nouveau de sa main ? Qu’on se figure quelle devait être l’émotion du musicien qui, lui-même, était un héros à sa manière, quand il suivait d’exploit en exploit, de victoire en victoire, l’homme prodigieux dont tout le monde, ami ou ennemi, parlait avec la même admiration ! À cela il faut ajouter que Beethoven était républicain ; qu’il rêvait un état social où tous les hommes jouiraient à jamais d’une félicité égale, et que c’était de Bonaparte qu’il attendait la réalisation de ses rêves. Comme le sang devait bouillonner dans ses veines ! Quelles flammes devait jeter son noble cœur, quand, de quelque côté qu’il se retournât pour consulter sa muse, il entendait toujours retentir ce nom glorieux ! Oh ! alors, sans doute, lui aussi devait se sentir pressé de prendre un essor extraordinaire ; lui aussi, il avait la puissance et l’énergie qui fait le héros, et il voulait s’illustrer par quelque grand exploit. Il ne commandait pas d’armée, mais, dans la région de l’art, il voyait s’ouvrir devant lui un domaine où il pouvait accomplir de grandes choses, comme Bonaparte en avait accompli dans les plaines de l’Italie. Ce fut dans cet état de surexcitation musicale que Beethoven conçut une œuvre comme jamais