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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

l’oreille dédaigneuse qui s’indigne contre ces petits accidents, et qui s’en ira demain admirer au théâtre les roulades discordantes de quelque cantatrice en renom, qui blessent tout à la fois les nerfs et l’âme. C’est que chez les connaisseurs au goût si subtil et si superbe, la musique n’est qu’une affaire d’oreilles, souvent même ils n’en jugent que par les yeux. Je me rappelle avoir vu de ces messieurs qui, après avoir laissé passer une note fausse sans froncer le sourcil, l’instant d’après se bouchaient les oreilles, quand ils voyaient l’artiste, troublé et confus, hocher la tête en signe de dépit.

— Eh quoi ! objectai-je, tu t’emportes contre les gens à l’ouïe délicate ; et tant de fois je t’ai vu irrité jusqu’à la fureur par l’intonation quelque peu douteuse d’une virtuose de théâtre ?

— Aussi, s’écria R..., c’est d’aujourd’hui, du moment actuel que je parle. Dieu sait que la plus légère tache dans le jeu des plus célèbres violonistes est capable de me faire sortir des gonds ; que je maudis parfois les meilleures cantatrices, si satisfaites qu’elles puissent être de leurs vocalises ; qu’il m’arrive même de ne pas trouver le moindre accord entre les divers instruments de l’orchestre le mieux conduit. Je tombe dans ce rigorisme excessif les jours où mon bon génie me quitte, où je mets mon bel habit pour me mêler parmi les dames élégamment parées, et parmi les messieurs frisés et parfumés, dans l’es-