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LE FREISCHÜTZ

les morceaux de chant ont peu d’étendue ; ils seront constamment écrasés par les énormes récitatifs qu’il faudra ajouter, et qui en affaibliront le sens et par conséquent l’effet. Dans ce drame où le plus simple Lied a un sens si profond, vous ne trouverez pas ces bruyants morceaux d’ensemble, ces finales impétueux auxquels vos grands opéras vous ont habitués. Dans la Muette, dans les Huguenots, dans la Juive, vu les dimensions colossales de ces morceaux, il faut absolument que l’intervalle qui les sépare soit rempli par des récitatifs; le dialogue semblerait mesquin et niais, et aurait tout à fait l’air d’une parodie. Quelle bizarrerie en effet, si, dans la Muette, Masaniello, entre le grand duo et le finale du second acte, s’avisait tout à coup de parler ; si, dans les Huguenots, après le colossal morceau d’ensemble du quatrième acte, Raoul et Valentine se préparaient au duo suivant par un dialogue, si dramatique qu’il puisse d’ailleurs être ! Sans doute vous en seriez choqués, et avec raison. Or, ce qui est une nécessité esthétique pour les opéras de grande dimension, deviendrait, par une raison contraire, un fléau pour le Freischütz où les morceaux de chant sont beaucoup moins étendus. Toutes les fois que les situations données par le dialogue provoqueront naturellement l’effet dramatique, M. Berlioz, je le prévois, ne pourra s’empêcher de laisser jaillir les sources fécondes de son imagination ;