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LE FREISCHÜTZ

partout où il arrive un malheur. Mais ce n’est que chez les Allemands que l’élément démoniaque pouvait se manifester sous des formes aussi mystiques, avec le caractère de mélancolie rêveuse ; que la nature extérieure pouvait se confondre aussi intimement avec l’âme de l’homme, et produire des émotions aussi naïves et aussi touchantes. Partout ailleurs nous voyons le diable se mêler parmi la société des hommes, inspirer des sorciers et des sorcières, les abandonner au bûcher ou les sauver de la mort selon son bon plaisir ; nous le voyons même revêtir le caractère de père de famille, et veiller au salut de son fils. Mais ces récits, le paysan le plus grossier n’y croit plus de nos jours ; tandis que les contes et traditions qui ont leur origine dans les régions les plus mystérieuses de la nature et du cœur humain éveillent encore aujourd’hui les sympathies des gens instruits ; ils aiment à se reporter aux jours de leur enfance où les grands arbres des sombres forêts, s’agitant au souffle de la tempête, leur paraissaient des êtres vivants, dont les voix mystérieuses étaient comme l’écho d’un monde fantastique.

Ce n’est que chez le peuple où la tradition du Franc-tireur avait pris naissance, et qui aime encore aujourd’hui à se laisser bercer au charme du merveilleux, qu’un compositeur, homme d’esprit, pût concevoir l’idée d’asseoir un grand ouvrage musical sur une pareille base. En pre-