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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

épuisée ; il ne lui en reste plus qu’une qu’il garde jusqu’au jour fatal où il s’agira de disputer la main de la jeune fille à ses rivaux. Mais à partir de ce moment, il redevient aussi maladroit qu’auparavant. Son camarade, lui aussi, a jeté au hasard et sans aucune utilité les trois balles-franches qu’il avait reçues pour sa part, et cela dans l’intention de forcer notre jeune homme à se servir de la septième et dernière qui lui reste. Le moment est arrivé : une colombe blanche traverse les airs. On dit au jeune homme de la viser ; ce sera pour lui l’épreuve décisive. Plein de confiance en sa balle-franche, l’infortuné presse la détente. Le coup part... et sa prétendue tombe baignée dans son sang ! La balle que Satan s’était réservée a frappé la jeune fille au cœur.

Telle est la tradition du franc-tireur (Freischütz); et, de nos jours, les chasseurs de ces contrées parlent encore de balles-franches. Cette tradition sombre, démoniaque, s’accorde parfaitement avec l’aspect solennel et mélancolique de ces formidables forêts de la Bohême. On comprend au premier coup d’œil le sens de ces récits populaires, quand on traverse ces solitudes, ces vallées coupées dans les rochers hérissés d’antiques sapins aux formes les plus bizarres. La tradition du Freischütz porte d’ailleurs profondément l’empreinte de la nationalité allemande. Chez tout autre peuple, le diable eût été probablement de la partie ; le diable est toujours en jeu