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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

ainsi haletants dans les rues boueuses de la capitale, et recherchent-ils avec tant d’empressement des hommes ennuyés ou blasés, auxquels ils sacrifient à tout prix un bonheur ineffable ? Et que d’efforts, que d’agitation, que de déboires, pour avoir occasion de faire ce sacrifice ? Que de machinations et d’intrigues ils sont obligés de mettre en œuvre pendant une bonne moitié de leur vie, pour faire entendre au vulgaire ce qu’il ne pourra jamais comprendre ? Est-ce de peur que l’histoire de la musique ne vienne à s’arrêter quelque jour ou à s’interrompre ? Est-ce pour cela qu’ils effacent les plus belles pages de l’histoire de leur propre cœur, et qu’ils brisent le lien divin qui aurait rattaché des cœurs sympathiques de siècle en siècle, au lieu que maintenant il n’est question que de toutes sortes d’écoles et de manières ?

Il y a là quelque puissance occulte et inexplicable, dont moi-même, hélas ! je subis l’influence funeste. Plus j’y songe, moins je puis me rendre compte des motifs qui poussent les artistes à rechercher le grand jour de la publicité. Est-ce l’ambition, le désir du bien-être ? motifs bien puissants sans doute ; mais quel est l’homme sur lequel ils aient prise à l’heure de l’enthousiasme, ou dont ils puissent émouvoir le génie ? Dans la vie ordinaire, je conçois qu’on cède à ces motifs, quand il est question d’un bon dîner, d’un article louangeur dans les journaux ;