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VII
AVANT-PROPOS

aux misérables détails de la vie matérielle. Il était en proie aux chagrins domestiques, et les plaintes amères que le manque des choses nécessaires arrachait à Wilhelmine Planer l’attristaient sans cesse. Le vol de son fidèle et caressant terre-neuve avait achevé de faire le vide dans sa maison. Une seule fiche de consolation lui restait : c’était de pouvoir promener son inquiétude au milieu d’un monde qui lui était étranger. La gloire, de son côté, n’avait pas été prodigue de consolations. L’ouverture composée pendant l’hiver de 1839 à 1840 pour la première partie du Faust de Goethe, il l’avait vu rayer du programme des Concerts du Conservatoire. Celle de Christophe Colomb, exécutée dans un concert offert à ses abonnés par la Gasette musicale, n’avait pu être justement appréciée : les cuivres avaient joué faux sans discontinuer. Quant à l’ouverture de Polonia, présentée à Duvinage, chef d’orchestre du théâtre de la Renaissance, pour être révélée à la représentation de gala donnée par la princesse Czartoryska au bénéfice des Polonais sans travail, elle n’avait même pas reçu les honneurs de l’examen. Ses autres œuvres, romances et opéras, n’avaient pas eu plus de succès. Ainsi toutes ses espérances avaient été trompées.

Une telle adversité n’abattit point Wagner. Obligé, pour se procurer du pain, de se livrer aux « travaux les plus rebutants »[1], il réduisit pour piano et chant la Favorite de Donizetti et fit des arrangements sur des opéras comme l’Elisire d’Amore, la Favorite, le Guittarero, les Huguenots, la Reine de Chypre, Robert le Diable, Zanetta, etc. Il a écrit sur ce point, dans son Esquisse autobiographique, les lignes suivantes si empreintes de tristesse : « Il était heureux que mon opéra fût terminé, car je me vis forcé de renoncer pour longtemps à l’exercice de tout ce qui était

  1. L’Œuvre et la Mission de ma Vie, p. 41.