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UN MUSICIEN ÉTRANGER À PARIS

n’a été rien moins que belle. Il n’est guère plus nécessaire que je te raconte en détail les circonstances dans lesquelles succomba ma foi enthousiaste. Qu’il te suffise de savoir que ce n’étaient pas des écueils sur lesquels j’échouai. — Heureux, hélas ! le naufragé qui périt dans la tempête ! — Non, c’est dans la vase, dans la boue que je me perdis. — Ce marécage, mon cher, environne tous ces orgueilleux et brillants temples de l’art vers lesquels nous autres, pauvres insensés, marchions en pèlerinage avec une ferveur aussi profonde que si nous eussions dû y gagner le salut de notre âme. Heureux le pèlerin léger de bagage ! L’élan d’un seul entrechat bien réussi peut suffire à lui faire franchir la largeur du marais. Heureux le riche ambitieux ! son cheval bien manié n’a besoin que d’une seule pression de ses éperons d’or, pour le transporter rapidement de l’autre côté. Malheur, hélas ! à l’enthousiaste qui, prenant ce marais pour un pré fleuri, s’y abîme sans retour, et y devient la pâture des grenouilles et des crapauds ! Vois, mon cher, comme cette infâme vermine m’a rongé : il n’y a plus en moi une seule goutte de sang. — Dois-je te dire ce qui m’est arrivé ? — Pourquoi ? après tout. Tu me vois mourir. C’est bien assez de savoir que je n’ai pas été terrassé sur le champ de bataille, mais que... cela est horrible à dire !... je suis mort de faim dans les antichambres. Sache qu’il y en a beaucoup à