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UN MUSICIEN ÉTRANGER À PARIS

il me faudra mendier la protection de tel ou tel laquais de cour, pour finir par arriver, grâce à un mot de recommandation qu’aura daigné m’accorder quelque femme de chambre, à obtenir pour mes œuvres l’honneur de la représentation ? Non sans doute, et à quoi bon d’ailleurs des démarches si serviles, ici, à Paris, la capitale de la France libre ! à Paris, où règne une presse puissante qui ne fait grâce à aucun abus ni à aucun scandale et les rend par cela même impossibles ! à Paris enfin où le vrai mérite peut seul espérer d’obtenir les applaudissements d’un public immense et incorruptible ?

— Le public, m’écriai-je, tu as raison. Je suis aussi d’avis qu’avec ton talent tu pourrais espérer de réussir, si tu n’avais affaire qu’au public seul ; mais c’est précisément dans le plus ou le moins de facilité d’arriver jusqu’à lui que tu te trompes lourdement, mon pauvre ami. Ce n’est pas la concurrence des talents contre laquelle tu auras à combattre, mais bien celle des réputations établies et des intérêts particuliers. Es-tu bien assuré d’une protection ouverte et influente, alors tente la lutte, mais sans cela, et surtout si tu manques d’argent, tiens-toi soigneusement à l’écart, car tu ne pourras que succomber, sans même avoir attiré sur toi l’attention publique. Il ne sera pas question de mettre à l’épreuve ton talent et tes travaux. Oh ! non, ce serait là une faveur sans pareille ! On pensera seulement à s’enquérir du