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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

pour lui présenter mes excuses, mais j’entraînai à ma suite l’Anglais damné qui ne m’avait pas lâché, et qui en effet ne me laissa libre que lorsque nous fûmes précisément en face de Beethoven. Je dis à celui-ci mon nom qu’il ne pouvait comprendre étant complètement sourd, mais pourtant il parut deviner que c’était moi qui lui avais écrit la veille. Alors il me dit d’entrer ; et aussitôt, sans se laisser troubler le moins du monde par la contenance pleine de surprise de Beethoven, l’Anglais se glissa sur mes pas dans le cabinet.

J’étais donc enfin dans le sanctuaire ; mais la gêne affreuse où me jetait l’incroyable procédé de mon compagnon m’ôtait toute la sérénité d’esprit qui m’eût été nécessaire pour apprécier toute l’étendue de mon bonheur. Beethoven n’avait dans son extérieur, il faut en convenir, rien de séduisant. Vêtu d’un négligé fort en désordre, il avait le corps ceint d’une écharpe de laine rouge. Son abondante chevelure grise encadrait son visage, et l’expression de ses traits, sombre et même dure, n’était guère capable de mettre un terme à mon embarras. Nous nous assîmes devant une table couverte de papiers ; mais une préoccupation pénible nous dominait tous, personne ne parlait, et Beethoven était visiblement contrarié de donner audience à deux personnes au lieu d’une. Enfin il me dit d’un ton brusque : — Vous venez de L… ? J’allais lui répondre, mais il m’arrêta en