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Patrie.

voyer coucher ailleurs. Chacun veut être sûr de sa fortune & de sa vie. Tous formant ainsi les mêmes souhaits, il se trouve que l’intérêt particulier devient l’intérêt général : on fait des vœux pour la république, quand on n’en fait que pour soi-même.

Il est impossible qu’il y ait sur la terre un État qui ne se soit gouverné d’abord en république ; c’est la marche naturelle de la nature humaine. Quelques familles s’assemblent d’abord contre les ours & contre les loups : celle qui a des grains en fournit en échange à celle qui n’a que du bois.

Quand nous avons découvert l’Amérique, nous avons trouvé toutes les peuplades divisées en républiques ; il n’y avait que deux royaumes dans toute cette partie du monde. De mille nations nous n’en trouvâmes que deux subjuguées.

Il en était ainsi de l’ancien monde ; tout était république en Europe, avant les roitelets d’Étrurie & de Rome. On voit encor aujourd’hui des républiques en Afrique. Tripoli, Tunis, Alger, vers notre septentrion, sont des républiques de brigands. Les Hottentots vers le midi, vivent encor comme on dit qu’on vivait dans les premiers âges du monde ; libres, égaux entre eux, sans maîtres, sans sujets, sans argent, & presque sans besoins. La chair de leurs moutons les nourrit, leur peau les habille, les huttes de bois & de terre sont leurs retraites : ils sont les plus puants de tous les hommes, mais ils ne le sentent pas ; ils vivent & ils meurent plus doucement que nous.