Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 2.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
Moyse.

nuit pour nous venger ; & vous n’avez pas secondé votre Dieu ? & vous ne nous avez pas donné ce pays fertile que rien ne pouvait défendre ? vous nous avez fait sortir de l’Égypte en larrons & en lâches, pour nous faire périr dans des déserts, entre les précipices & les montagnes ? Vous pouviez nous conduire au moins par le droit chemin dans cette terre de Canaan sur laquelle nous n’avons nul droit, & que vous nous avez promise, & dans laquelle nous n’avons pû encor entrer ?

Il était naturel que de la terre de Gessen nous marchassions vers Tyr & Sidon le long de la Méditerranée ; mais vous nous faites passer l’isthme de Suez presque tout entier ; vous nous faites rentrer en Égypte, remonter jusque par delà Memphis, & nous nous trouvons à Béel Sephon, au bord de la mer Rouge, tournant le dos à la terre de Canaan, ayant marché quatre-vingts lieues dans cette Égypte que nous voulions éviter, & enfin près de périr entre la mer & l’armée de Pharaon !

Si vous aviez voulu nous livrer à nos ennemis, auriez-vous pris une autre route & d’autres mesures ? Dieu nous a sauvés par un miracle, dites-vous ; la mer s’est ouverte pour nous laisser passer ; mais après une telle faveur fallait-il nous faire mourir de faim & de fatigue dans les déserts horribles d’Éthan, de Cadés-Barné, de Mara, d’Élim, d’Oreb & de Sinaï ? Tous nos pères ont péri dans ces solitudes affreuses, & vous nous venez dire au bout de