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Matière.

rangement qu’une main divine a fait du monde entier. L’éternité de la matière n’a nui chez aucun peuple au culte de la Divinité. La Religion ne fut jamais effarouchée qu’un Dieu éternel fût reconnu comme le maître d’une matière éternelle. Nous sommes assez heureux pour savoir aujourd’hui par la foi, que Dieu tira la matière du néant ; mais aucune nation n’avait été instruite de ce dogme ; les Juifs même l’ignorèrent. Le premier verset de la Genèse dit que les dieux Éloïm, non pas Éloï, firent le ciel & la terre ; il ne dit pas que le ciel & la terre furent créés de rien.

Philon qui est venu dans le seul tems où les Juifs aient eu quelque érudition, dit dans son chapitre de la création : « Dieu étant bon par sa nature n’a point porté envie à la substance, à la matière, qui par elle-même n’avait rien de bon, qui n’a de sa nature, qu’inertie, confusion, désordre. Il daigna la rendre bonne de mauvaise qu’elle était. »

L’idée du chaos débrouillé par un Dieu se trouve dans toutes les anciennes théogonies, Hésiode répétait ce que pensait l’Orient, quand il disait dans sa théogonie : « Le chaos est ce qui a existé le premier. » Ovide était l’interprète de tout l’empire romain, quand il disait :

Sic ubi dispositam quisquis fuit ille deorum
Congeriem secuit…

La matière était donc regardée entre les mains de Dieu, comme l’argile sous la rouë