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Maître.

le géant sentit sa force, il coucha avec ses deux sœurs, & se fit servir par le petit bossu. De ses deux sœurs, l’une fut sa cuisinière, l’autre sa jardinière. Quand le géant voulait dormir il commençait par enchaîner à un arbre son petit frère le bossu, & lorsque celui-ci s’enfuyait, il le rattrapait en quatre enjambées, & lui donnait vingt coups de nerf de bœufs.

Le bossu devint soumis, & le meilleur sujet du monde. Le géant satisfait de le voir remplir ses devoirs de sujet, lui permit de coucher avec une de ses sœurs dont il était dégoûté. Les enfans qui vinrent de ce mariage ne furent pas tout à fait bossus ; mais ils eurent la taille assez contrefaite. Ils furent élevés dans la crainte de Dieu & du géant. Ils reçurent une excellente éducation ; on leur apprit que leur grand-oncle était géant de droit divin, qu’il pouvait faire de toute sa famille ce qui lui plaisait ; que s’il avait quelque jolie nièce, ou arrière-nièce, c’était pour lui seul sans difficulté, & que personne ne pouvait coucher avec elle que quand il n’en voudrait plus.

Le géant étant mort, son fils qui n’était pas à beaucoup près si fort ni si grand que lui, crut cependant être géant comme son père de droit divin. Il prétendit faire travailler pour lui tous les hommes, & coucher avec toutes les filles. La famille se ligua contre lui, il fut assommé, & on se mit en république.

Les Siamois au contraire prétendaient que la famille avait commencé par être républicaine, & que le géant n’était venu qu’après un grand