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Luxe.

ver qu’un voleur ne doit jamais ni manger le dîner qu’il a pris, ni porter l’habit qu’il a dérobé, ni se parer de la bague qu’il a volée. Il fallait, dit-on, jeter tout cela dans la rivière, pour vivre en honnêtes gens ; dites plutôt qu’il ne fallait pas voler. Condamnez les brigands quand ils pillent ; mais ne les traitez pas d’insensés quand ils jouïssent.[1] De bonne foi, lorsqu’un grand nombre de marins Anglais se sont enrichis à la prise de Pondichéri, & de la Havane, ont-ils eu tort d’avoir ensuite du plaisir à Londres, pour prix de la peine qu’ils avaient eue au fond de l’Asie & de l’Amérique ?

Les déclamateurs voudraient-ils qu’on enfouît les richesses qu’on aurait amassées par le sort des armes, par l’agriculture, par le commerce & par l’industrie ? Ils citent Lacédémone ; que ne citent-ils aussi la république de Saint Marin ? Quel bien Sparte fit-elle à la Grèce ? eut-elle jamais des Démosthènes, des Sophocle, des Appelles & des Fidias ? Le luxe d’Athènes a fait de grands hommes en tout genre ; Sparte a eu quelques capitaines, & encor en moins grand nombre que les autres villes. Mais à la bonne heure qu’une aussi petite république que Lacédémone conserve sa pauvreté. On arrive à la mort aussi bien en manquant de

  1. Le pauvre d’esprit que nous avons déjà cité, ayant lû ce passage dans une mauvaise édition où il y avait un point après ce mot bonne foi, crut que l’auteur voulait dire que les voleurs jouissaient de bonne foi. Nous savons bien que ce pauvre d’esprit est méchant, mais de bonne foi il ne peut être dangereux.