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Des Loix. Sect. II.

nommée aujourd’hui Padrabranca, laquelle était alors déserte.

Le vieux richard & la vieille se noyèrent ; le fils, la fille, les deux eunuques & l’aumônier se sauvèrent ; on tira comme on put quelques provisions du vaisseau, on bâtit des petites cabanes dans l’île, & on y vécut assez commodément. Vous savez que l’île de Padrabranca est à cinq degrés de la ligne, & qu’on y trouve les plus gros cocos & les meilleurs ananas du monde ; il était fort doux d’y vivre dans le tems qu’on égorgeait ailleurs le reste de la nation chérie ; mais l’Essénien pleurait en considérant que peut-être il ne restait plus qu’eux de Juifs sur la terre, & que la semence d’Abraham allait finir.

Il ne tient qu’à vous de la ressusciter, dit le jeune Juif, épousez ma sœur. Je le voudrais bien, dit l’aumônier, mais la loi s’y oppose. Je suis Essénien, j’ai fait vœu de ne me jamais marier, la loi porte qu’on doit accomplir son vœu ; la race juive finira si elle veut, mais certainement je n’épouserai point votre sœur, toute jolie qu’elle est.

Mes deux eunuques ne peuvent pas lui faire d’enfans, reprit le Juif ; je lui en ferai donc s’il vous plaît, & ce sera vous qui bénirez le mariage.

J’aimerais mieux cent fois être éventré par les soldats romains, dit l’aumônier, que de servir à vous faire commettre un inceste ; si c’était votre sœur de père, encor passe, la loi le permet ; mais elle est votre sœur de mère, cela est abominable.