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Liberté de penser.

la conversation ; un jour après boire il eut avec Médroso cet entretien.

BOLDMIND.

Vous êtes donc sergent des Dominicains ? vous faites-là un vilain métier.

MÉDROSO.

Il est vrai ; mais j’ai mieux aimé être leur valet que leur victime, & j’ai préféré le malheur de brûler mon prochain à celui d’être cuit moi-même.

BOLDMIND.

Quelle horrible alternative ! vous étiez cent fois plus heureux sous le joug des Maures qui vous laissaient croupir librement dans toutes vos superstitions, & qui tout vainqueurs qu’ils étaient ne s’arrogeaient pas le droit inouï de tenir les ames dans les fers.

MÉDROSO.

Que voulez-vous ! il ne nous est permis ni d’écrire, ni de parler, ni même de penser. Si nous parlons, il est aisé d’interpréter nos paroles, encor plus nos écrits. Enfin, comme on ne peut nous condamner dans un Auto-da-fé pour nos pensées secrettes, on nous menace d’être brûlés éternellement par l’ordre de Dieu même, si nous ne pensons pas comme les Jacobins. Ils ont persuadé au gouvernement que si nous avions le sens commun, tout l’État serait en combustion, & que la nation deviendrait la plus malheureuse de la terre.