Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 2.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
Salomon.

d’un autre stile ; mais chacun a le sien, & un Juif n’est pas obligé d’écrire comme Virgile.

C’est apparemment encor un beau tour d’éloquence orientale, que de dire, Notre sœur est encor petite, elle n’a point de tétons ; que ferons-nous de notre sœur ? Si c’est un mur, bâtissons dessus ; si c’est une porte, fermons-la.

À la bonne heure que Salomon le plus sage des hommes ait parlé ainsi dans ses goguettes. Mais plusieurs Rabbins ont soutenu que non-seulement cette petite églogue voluptueuse n’était pas du Roi Salomon, mais qu’elle n’était pas autentique. Théodore de Mopsueste était de ce sentiment, & le célèbre Grotius appelle le Cantique des Cantiques un ouvrage libertin, Flagitiosus ; cependant il est consacré, & on le regarde comme une allégorie perpétuelle du mariage de Jésus-Christ avec son Église. Il faut avouer que l’allégorie est un peu forte, & qu’on ne voit pas ce que l’Église pourrait entendre quand l’auteur dit que sa petite sœur n’a point de tétons.

Après tout, ce Cantique est un morceau précieux de l’antiquité. C’est le seul livre d’amour qui nous soit resté des Hébreux. Il est vrai que c’est une rapsodie inepte, mais il y a beaucoup de volupté. Il n’y est question que de baiser sur la bouche, de tétons qui valent mieux que du vin, de jouës qui sont de la couleur des tourterelles. Il y est souvent parlé de jouïssance. C’est une églogue juive. Le style est comme celui de tous les