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Tout est Bien.

plus profond métaphysicien, rendit donc le service au genre humain de lui faire voir que nous devons être très contens, & que Dieu ne pouvait pas davantage pour nous : qu’il avait nécessairement choisi entre tous les partis possibles, le meilleur, sans contredit.

Que deviendra le péché originel ? lui criait-on. Il deviendra ce qu’il pourra, disaient Leibnitz & ses amis : mais en public il écrivait que le péché originel entrait nécessairement dans le meilleur des mondes.

Quoi ! être chassé d’un lieu de délices, où l’on aurait vécu à jamais, si on n’avait pas mangé une pomme ? Quoi ! faire dans la misère, des enfans misérables qui souffriront tout, qui feront tout souffrir aux autres ? quoi ! éprouver toutes les maladies, sentir tous les chagrins, mourir dans la douleur, & pour rafraîchissement être brûlé dans l’éternité des siècles ; ce partage est-il bien ce qu’il y avait de meilleur ? Cela n’est pas trop bon pour nous ; & en quoi cela peut-il être bon pour Dieu ?

Leibnitz sentait qu’il n’y avait rien à répondre ; aussi fit-il de gros livres dans lesquels il ne s’entendait pas.

Nier qu’il y ait du mal, cela peut être dit en riant par un Lucullus qui se porte bien, & qui fait un bon dîner avec ses amis & sa maîtresse dans le salon d’Apollon ; mais, qu’il mette la tête à la fenêtre, il verra des malheureux, qu’il ait la fièvre, il le sera lui-même.

Je n’aime point à citer ; c’est d’ordinaire une besogne épineuse ; on néglige ce qui précède