Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 1.djvu/291

Cette page a été validée par deux contributeurs.
285
Fanatisme.

des hommes, & qui prévient les accès du mal ; car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, & attendre que l’air soit purifié. Les loix & la religion ne suffisent pas contre la peste des ames ; la religion loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod, qui assassine le Roi Églon ; de Judith, qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui ; de Samuel qui hâche en morceaux le roi Agag : ils ne voient pas que ces exemples qui sont respectables dans l’antiquité, sont abominables dans le tems présent ; ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.

Les loix sont encor très impuissantes contre ces accès de rage ; c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’Esprit Saint qui les pénètre, est au-dessus des loix, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.

Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, & qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?

Ce sont d’ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, & qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joyes du paradis à des imbéciles, & qui leur promettait une éternité de ces plaisirs, dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nom-