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Catéchisme du Japonois.

une attention particulière. Ce sont les seuls convives que je n’aie jamais vus s’enivrer & jurer. Ils sont très difficiles à tromper, mais ils ne vous tromperont jamais. Il semble que la loi d’aimer son prochain comme soi-même n’ait été faite que pour ces gens-là ; car en vérité, comment un bon Japonois peut-il se vanter d’aimer son prochain comme lui-même, quand il va pour quelque argent lui tirer une balle de plomb dans la cervelle, ou l’égorger avec un criss large de quatre doigts, le tout en front de bandière ? il s’expose lui-même à être égorgé, & à recevoir des balles de plomb ; ainsi, on peut dire avec bien plus de vérité, qu’il hait son prochain comme lui-même. Les Quekars n’ont jamais eu cette frénésie ; ils disent que les pauvres humains sont des cruches d’argile faites pour durer très peu, & que ce n’est pas la peine qu’elles aillent de gaieté de cœur se briser les unes contre les autres.

Je vous avoüe que si je n’étais pas Canusi, je ne haïrais pas d’être Quekar. Vous m’avoüerez qu’il n’y a pas moyen de se quereller avec des cuisiniers si pacifiques. Il y en a d’autres en très grand nombre qu’on appelle Diestes ; ceux-là donnent à dîner à tout le monde indifféremment, & vous êtes libre chez eux de manger tout ce qui vous plaît, lardé, bardé, sans lard, sans barde, aux œufs, à l’huile ; perdrix, saumon, vin gris, vin rouge, tout cela leur est indifférent, pourvu que vous fassiez quelque prière à Dieu avant ou après le dîner, & même simplement avant le déjeuner,