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tout volé du fond du golfe Adriatique à l’Euphrate, & qu’ils eurent assez d’esprit pour jouir du fruit de leurs rapines pendant sept à huit cents ans ; quand ils cultivèrent tous les arts, qu’ils goûtèrent tous les plaisirs, & qu’ils les firent même goûter aux vaincus, ils cessèrent alors, dit-on, d’être sages & gens de bien.

Toutes ces déclamations se réduisent à prouver qu’un voleur ne doit jamais ni manger le dîner qu’il a pris, ni porter l’habit qu’il a dérobé, ni se parer de la bague qu’il a volée. Il fallait, dit-on, jeter tout cela dans la rivière, pour vivre en honnêtes gens ; dites plutôt qu’il ne fallait pas voler. Condamnez les brigands quand ils pillent ; mais ne les traitez pas d’insensés quand ils jouissent. De bonne foi*, lorsqu’un grand nombre de marins anglais se sont enrichis à la prise de Pondichéri, & de la Havane, ont-ils eu tort d’avoir ensuite du plaisir à Londres, pour prix de la peine qu’ils avaient eue au fond de l’Asie & de l’Amérique ?

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Les déclamateurs voudraient-ils qu’on enfouît les richesses qu’on aurait amassées par le sort des armes, par l’agriculture, par le commerce & par l’industrie ? Ils citent Lacédémone ; que ne citent-ils aussi la république de Saint Marin ? Quel bien Sparte fit-elle à la Grèce ? eut-elle jamais des Démosthènes, des Sophocle, des Apelle & des Fidias ? Le luxe d’Athènes a fait de grands hommes en tout genre ; Sparte a eu quelques capitaines, & encor en

  1. Le pauvre d’esprit que nous avons déjà cité, ayant lu ce passage dans une mauvaise édition où il y avait un point après ce mot bonne foi, crut que l’auteur voulait dire que les voleurs jouissaient de bonne foi. Nous savons bien que ce pauvre d’esprit est méchant, mais de bonne foi il ne peut être dangereux.[1765, Varberg]