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Pictor raconte que plusieurs siècles avant lui, une vestale de la ville d’Albe allant puiser de l’eau dans sa cruche, fut violée, qu’elle accoucha de Romulus & de Remus, qu’ils furent nourris par une louve, &c. Le peuple romain crut cette fable ; il n’examina point si dans ce temps-là il y avait des vestales dans le Latium, s’il était vraisemblable que la fille d’un roi sortît de son couvent avec sa cruche, s’il était probable qu’une louve allaitât deux enfans au lieu de les manger. Le préjugé s’établit.

Un moine écrit que Clovis étant dans un grand danger à la bataille de Tolbiac, fit vœu de se faire chrétien s’il en réchappait ; mais est-il naturel qu’on s’adresse à un dieu étranger dans une telle occasion ? n’est-ce pas alors que la religion dans laquelle on est né agit le plus puissamment ? Quel est le chrétien qui dans une bataille contre les Turcs ne s’adressera pas plutôt à la Sainte Vierge qu’à Mahomet ? On ajoute qu’un pigeon apporta la sainte ampoule dans son bec pour oindre Clovis, & qu’un ange apporta l’oriflamme pour le conduire ; le préjugé crut toutes les historiettes de ce genre. Ceux qui connaissent la nature humaine savent bien que l’usurpateur Clovis, & l’usurpateur Rolon ou Rol, se firent chrétiens pour gouverner plus sûrement des chrétiens, comme les usurpateurs turcs se firent musulmans pour gouverner plus sûrement les musulmans.

Préjugés religieux