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420 PHILOSOPHE.

Quel est le citoyen parmi nous qui se priverait, comme Julien, Antonin, & Marc-Aurèle, de toutes les délicatesses de notre vie molle & efféminée ? qui dormirait comme eux sur la dure ? qui voudrait s’imposer leur frugalité ? qui marcherait comme eux à pied & tête nus à la tête des armées, exposé tantôt à l’ardeur du soleil, tantôt aux frimas ? qui commanderait comme eux à toutes ses passions ? Il y a parmi nous des dévots ; mais où sont les sages ? où sont les ames inébranlables, justes & tolérantes ?

Il y a eu des philosophes de cabinet en France, & tous, excepté Montagne, ont été persécutés. C’est, ce me semble, le dernier degré de la malignité de notre nature, de vouloir opprimer ces mêmes philosophes qui la veulent corriger.

Je conçois bien que des fanatiques d’une secte égorgent les enthousiastes d’une autre secte, que les franciscains haïssent les dominicains, & qu’un mauvais artiste cabale pour perdre celui qui le surpasse ; mais que le sage Charron ait été menacé de perdre la vie, que le savant & généreux Ramus ait été assassiné, que Descartes ait été obligé de fuir en Hollande pour se soustraire à la rage des ignorans, que Gassendi ait été forcé plusieurs fois de se retirer à Digne, loin des calomnies de Paris, c’est là l’opprobre éternel d’une nation.

Un des philosophes les plus persécutés fut l’immortel Bayle, l’honneur de la nature hu-


maine.