Page:Voltaire - Dictionnaire philosophique portatif, 6e édition, tome 1.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ETATS, GOUVERNEMENTS. 219

Un membre du conseil de Pondichéri, assez savant, revenait en Europe par terre avec un Brame, plus instruit que les brames ordinaires. Comment trouvez-vous le gouvernement du grand Mogol ? dit le conseiller. Abominable, répondit le Brame ; comment voulez-vous qu’un État soit heureusement gouverné par des Tartares ? Nos Rayas, nos Omras, nos Nababs sont fort contents ; mais les citoyens ne le sont guère, & des millions de citoyens sont quelque chose.

Le Conseiller & le Brame traversèrent en raisonnant toute la haute Asie. Je fais une réflexion, dit le Brame, c’est qu’il n’y a pas une république dans toute cette vaste partie du monde. Il y a eu autrefois celle de Tyr, dit le conseiller, mais elle n’a pas duré longtemps ; il y en avait encor une autre vers l’Arabie pétrée, dans un petit coin nommé la Palestine, si on peut honorer du nom de république une horde de voleurs & d’usuriers, tantôt gouvernée par des juges, tantôt par des espèces de rois, tantôt par des grands pontifes, devenue esclave sept ou huit fois, & enfin chassée du pays qu’elle avait usurpé.

Je conçois, dit le Brame, qu’on ne doit trouver sur la terre que très-peu de républiques. Les hommes sont rarement dignes de se gouverner eux-mêmes. Ce bonheur ne doit appartenir qu’à des petits peuples, qui se cachent dans des îles, ou entre des montagnes, comme des lapins qui se dérobent aux animaux