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Et jusqu’au soir en héros ils ronflèrent.



Il faut savoir que le maître et seigneur
De ce logis, digne d’un empereur,
Était le fils de l’un de ces génies,
Des vastes cieux habitants éternels,
De qui souvent les grandeurs infinies
S’humanisaient chez les faibles mortels.
Or cet esprit, mêlant sa chair divine
Avec la chair d’une bénédictine,
En avait eu le seigneur Hermaphrodix,
Grand nécromant, et le très-digne fils
De cet incube et de la mère Alix.
Le jour qu’il eut quatorze ans accomplis,
Son géniteur, descendant de sa sphère,
Lui dit : " Enfant, tu me dois la lumière ;
Je viens te voir, tu peux former des vœux ;
Souhaite, parle, et je te rends heureux. "
Hermaphrodix, né très-voluptueux,
Et digne en tout de sa noble origine,
Dit : " Je me sens de race bien divine,
Car je rassemble en moi tous les désirs,
Et je voudrais avoir tous les plaisirs.
De voluptés rassasiez mon âme ;
Je veux aimer comme homme et comme femme,
Être la nuit du sexe féminin,
Et tout le jour du sexe masculin. "
L’incube dit : " Tel sera ton destin ; "
Et dès ce jour la ribaude figure
Jouit des droits de sa double nature :
Ainsi Platon, le confident des dieux[1],
A prétendu que nos premiers aïeux,
D’un pur limon pétri des mains divines
Nés tous parfaits et nommés androgynes,
Également des deux sexes pourvus,
Se suffisaient par leurs propres vertus.



Hermaphrodix était bien au-dessus :
Car se donner du plaisir à soi-même,
Ce n’est pas là le sort le plus divin ;

  1. Selon Platon, l'homme fut formé avec les deux sexes. Adam apparut tel à la dévote Bourignon et à son directeur Abbadie. (Note de Voltaire, 1762.) — Voyez la note g de l’article Adam du Dictionnaire historique de Bayle. (R.)