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Donne à baiser une bulle divine
Que Le Tellier[1] lourdement fabriqua,
Dont Rome même en secret se moqua,
Et qui chez nous est la noble origine
De nos partis, de nos divisions,
Et qui, pis est, de volumes profonds,
Remplis, dit-on, de poisons hérétiques,
Tous poisons froids, et tous soporifiques.
ToLes combattants, nouveaux Bellérophons,
Dans cette nuit, montés sur des Chimères,
Les yeux bandés, cherchent leurs adversaires ;
De longs sifflets leur servent de clairons ;
Et, dans leur docte et sainte frénésie,
Ils vont frappant à grands coups de vessie.
Ciel ! que d’écrits, de disquisitions,
De mandements, et d’explications,
Que l’on explique encor, peur de s’entendre !
ToÔ chroniqueur des héros du Scamandre,
Toi qui jadis des grenouilles, des rats,
Si doctement as chanté les combats[2],
Sors du tombeau, viens célébrer la guerre
Que pour la bulle on fera sur la terre !
Le janséniste, esclave du destin,
Enfant perdu de la grâce efficace,
Dans ses drapeaux porte un saint Augustin,
Et pour plusieurs il marche avec audace[3].
Les ennemis s’avancent tout courbés
Dessus le dos de cent petits abbés.
ToCessez, cessez, ô discordes civiles !
Tout va changer : place, place, imbéciles !
Un grand tombeau sans ornement, sans art,
Est élevé non loin de Saint-Médard[4].

  1. Le Tellier, jésuite, fils d’un procureur de Vire en Basse-Normandie, confesseur de Louis XIV, auteur de la bulle et de tous les troubles qui la suivirent, exilé pendant la régence, et dont la mémoire est abhorrée de nos jours. Le P. Doucin était son premier ministre. (Note de Voltaire, 1762.) — Voyez le Siècle de Louis XIV, ch. xxxvii.
  2. Homère dans la Batrachomyomachie.
  3. Les jansénistes disent que le Messie n’est venu que pour plusieurs. (Note de Voltaire, 1762.)
  4. Ceci désigne les convulsionnaires et les miracles attestés par des milliers de jansénistes, miracles dont Carré de Montgeron fit imprimer un gros recueil qu’il présenta au roi Louis XV. (Id., 1762.) — Voyez l’Histoire du parlement, chapitre lxv. (R.)