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Viennent sonder ces féminins mystères ;
Et si quelqu’un se connaît à cela,
Qu’il trousse Jeanne, et qu’il regarde là. »
LeÀ sa réponse et sage et mesurée,
Le roi vit bien qu’elle était inspirée.
« Or sus, dit-il, si vous en savez tant,
Fille de bien, dites-moi dans l’instant
Ce que j’ai fait cette nuit à ma belle ;
Mais parlez net. — Rien du tout, » lui dit-elle.
Le roi surpris soudain s’agenouilla,
Cria tous haut : « Miracle ! » et se signa.
Incontinent la cohorte fourrée,
Bonnet en tête, Hippocrate à la main,
Vint observer le pur et noble sein
De l’amazone à leurs regards livrée[1] :
On la met nue, et monsieur le doyen,
Ayant le tout considéré très-bien,
Dessus, dessous, expédie à la belle
En parchemin un brevet de pucelle.
EnL’esprit tout fier de ce brevet sacré,
Jeanne soudain d’un pas délibéré
Retourne au roi, devant lui s’agenouille,
Et, déployant la superbe dépouille
Que sur l’Anglais elle a prise en passant :
« Permets, dit-elle, ô mon maître puissant !
Que sous tes lois la main de ta servante
Ose ranger la France gémissante.
Je remplirai les oracles divins :
J’ose à tes yeux jurer par mon courage,
Par cette épée et par mon pucelage,
Que tu seras huilé bientôt à Reims :
Tu chasseras les anglaises cohortes
Qui d’Orléans environnent les portes.
Viens accomplir tes augustes destins ;
Viens, et, de Tours abandonnant la rive,
Dès ce moment souffre que je te suive. »
LeLes courtisans autour d’elle pressés,
Les yeux au ciel et vers Jeanne adressés,
Battent des mains, l’admirent, la secondent.

  1. Effectivement, des médecins et des matrones, visitèrent Jeanne d’Arc, et la déclarèrent pucelle. (Note de Voltaire, 1762)